Considérons l'homme dans sa première origine sans autre secours; sans autre guide que l'instinct naturel de ses besoins. Il lui faut un lieu de repos. Au bord d'un tranquille ruisseau, il aperçoit un gazon; sa verdure naissante plaît à ses yeux, son tendre duvet l'invite; il vient, et mollement étendu sur ce tapis émaillé, il ne songe qu'à jouir en paix des dons de la nature : rien ne lui manque, il ne désire rien. Mais bientôt l'ardeur du Soleil qui le brûle, l'oblige à chercher un abri. Il aperçoit une forêt qui lui offre la fraîcheur de ses ombres; il court se cacher dans son épaisseur, et le voilà content. Cependant mille vapeurs élevées au hasard se rencontrent et se rassemblent, d'épais nuages couvrent les airs, une pluie effroyable se précipite comme un torrent sur cette forêt délicieuse. L'homme mal couvert à l'abri de ses feuilles, ne sait plus comment se défendre d'une humidité incommode qui le pénètre de toute part. Une caverne se présente, il s'y glisse, et se trouvant à sec, il s'applaudit de sa découverte. Mais de nouveaux désagréments le dégoutent encore de ce séjour. Il s'y voit dans les ténébres, il y respire un air malsain, il sort résolu de suppléer, par son industrie, aux inattentions et aux négligences de la nature. L'homme veut se faire un logement qui le couvre sans l'ensevelir. Quelques branches abbatues dans la forêt sont les matériaux propres à son dessein. Il en choisit quatre des plus fortes qu'il éléve perpendiculairement, et qu'il dispose en carré. Au-dessus il en met quatre autres en travers; et sur celle-ci il en met quatre autres en travers; et sur celle-ci il en éléve qui s'inclinent, et qui se réunissent en pointe des deux côtés. Cette espèce de toit est couvert de feuilles assez serrées pour que ni le soleil, ni la pluie ne puissent y pénétrer, et voilà l'homme logé. Il est vrai que le froid et le chaud lui feront sentir leur incommodité dans sa maison ouverte de toute part; mais alors il remplira l'entre-deux des piliers, et se trouvera garanti.
Telle est la marche de la simple nature : c'est à l'imitation de ses procédés que l'art doit sa naissance. La petite cabane rustique que je viens de décrire, est le modèle sur lequel on a imaginé les magnificences de l'Architecture. C'est en se rapprochant dans l'exécution de la simplicité de ce premier modèle, que l'on évite les défauts essentiels, que l'on saisit les perfections véritables. Les pièces de bois élevées perpendiculairement nous ont donné l'idée des colonnes. Les pièces horizontales qui les surmontent, nous ont donné l'idée des entablements. Enfin les pièces inclinées qui forment le toit, nous ont donné l'idée des frontons : voilà ce que tous les Maîtres de l'art ont reconnu. Mais qu'on y prenne bien garde; jamais principe ne plus fécond en conséquences. Il est facile désormais de distinguer les parties qui entrent essentiellement dans la composition d'un ordre d'Architecture, d'avec celles qui ne s'y sont introduites que par besoin, ou qui n'y ont été ajoutées, que par caprice. C'est dans les parties essentielles que consistent toutes les beautés; dans les parties introduites par besoin consistent toutes les licences; dans les parties ajoutées par caprice consistent tous les défauts. Ceci demande des éclaircissements : je vais tâcher d'y répandre tout le jour possible.
Ne perdons point de vue notre petite cabane rustique. Je n'y vois que des colonnes, un plancher ou entablement, un toit pointu dont les deux extrêmités forment chacune ce que nous nommons un fronton. Jusqu'ici point de voûte, encore moins d'arcade, point de piédestaux, point d'attique, point de porte même, point de fenêtre. Je conclus donc, et je dis : dans tout ordre d'Architecture, il n'y a que la colonne, l'entablement et le fronton qui puissent entrer essentiellement dans sa composition. Si chacune de ces trois parties se trouve placée dans la situation et avec la forme qui lui convient, il n'y aura rien à ajouter pour que l'ouvrage soit parfait. Il nous reste en France un très beau monument des Anciens; c'est ce qu'on appelle à Nîmes la Maison Carrée. Connaisseurs ou non connaisseurs, tout le monde admire la beauté de cet édifice. Pourquoi? Parce que tout est selon les vrais principes de l'Architecture. Un carré long où trente colonnes supportent un entablement et un toit terminé aux deux extrêmités par un fronton; voilà ce dont il s'agit. Cet assemblage a une simplicité et une noblesse qui frappe tous les yeux.
L'auteur de l'examen n'approuve point que je veuille mettre une relation à la rigueur de toutes les parties de nos édifices à celles de la cabane rustique. Il aura dû nous développer les lois qui rendent cette relation vicieuse : cer si elle est solide; et fondée comme je le prétends, et comme l'ont insinuée tous les maîtres d'art, il n'y a plus moyen d'attaquer les règles que j'établis dans les articles suivants. Elles sont toutes des conséquences nécessaires de ce principe simple. Si l'on veut me réfuter, tout se réduit à ce procédé : montrer que le principe est faux, ou que la conséquence est mal tirée. Tandis qu'on n'usera contre moi d'aucune de ces deux armes, on frappera d'inutiles coups. Toutes les déclamations, toutes les injures même seront à pure perte. Le lecteur judicieux en reviendra toujours à cette question : le principe est-il faux? La conséquence l'est-elle? La seule raison qu'on objecte contre le rapport établi entre nos édifices et la cabane rustique, c'est qu'il doit nous être permis de nous éloigner un peu de ces grossières et informes inventions. Vraiment nous nous en éloignons beaucoup, par le grand goût de décoration que nous avons substitué aux négligences d'une composition si brute; mais l'essentiel doit rester. C'est là l'esquisse que la nature nous présente; l'art ne doit employer ses ressources qu'à embellir, limer, polir l'ouvrage, sans toucher au fond du dessein. Entrons dans le détail des parties essentielles à un ordre d'Architecture.
Marc-Antoine Laugier (1713-1769) Essai sur l'architecture, Editions Pierre Mardaga, Bruxelles 1979, pages 8-12.
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Un ordre d'Architecture n'est autre chose qu'une manière de combiner avec grâce dans un bâtiment les montants qui doivent supporter et les traverses qui sont dans le cas d'être supportées. Les montants sont les piliers ou les murs posés perpendiculairement. Les traverses sont les planchers et le toit qui portent sur les montants ou horizontalement ou sur des plans inclinés.
Marc-Antoine Laugier, Observations sur l'architecture, Editions Mardaga, Bruxelles 1979, page 254.
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Vue avant du Palais de la Carrière à Nancy, oeuvre de Richard Mique (1728-1794).;
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Vue arrière du Palais de la Carrière....
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Non loin de cet édifice, dans le jardin du musée de zoologie, on peut contempler cette petite cabane rustique naturelle :
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Je souhaiterais echanger des infos avec vous autour de cette philosophie de l'architecture
Rédigé par : DENIEUL | 24 mars 2009 à 15:59